Girardin, Souvenirs des Pyrénées, 1838
Citation :
C'est dans les forêts de sapins de Gabas, où nous étions il n'y a qu'un instant, qu'habitent les ours, si redoutés des pasteurs de la vallée d'Ossau. Chaque nuit d'été est, en effet, signalée par les attaques de ces redoutables animaux, qui, quoique moins forts que les ours des Alpes et moins communs dans cette partie de la chaine qu'aux environs de Barèges et de Cauterets, ne causent pas moins de grandes pertes aux troupeaux du canton de Laruns. Aussi leur fait on une chasse continuelle, et il n'est pas de berger qui n'en ait tué un grand nombre dans le cours de sa vie. Chaque tête d'ours vaut 100 francs, que paie la vallée ; la peau ne rapporte pas moins au vainqueur.
J'aurais bien voulu assister à l'une de ces battues générales qu'on fait dès qu'on est averti du voisinage de ces sauvages habitans des bois ; malheureusement l'occasion ne s'est pas présentée une seule fois pendant mon séjour dans les montagnes. C'est avoir du malheur, vous l'avouerez. Je pourrais bien, à l'exemple de certains touristes de votre connaissance qui livrent hardiment au public les impressions de voyages qu'ils n'ont pas faits, inventer pour votre satisfaction une rencontre d'ours dans laquelle j'aurais joué un beau rôle. Mais, quoique voyageur, et quoique bien loin de vous, je ne sais pas mentir. Ma lettre y perdra sans doute, en intérêt, mais au moins elle sera vraie; c'est une qualité qui manque à tarit d'autres relations du même genre, que mes récits ne seront pas dépourvus de quelque mérite, du moins à vos yeux.
Je me bornerai donc à vous dire ce que J'ai appris d'un vieux guide qui nous accompagnait dans notre tournée aux Eaux-Chaudes. C'est un grand chasseur d'ours qui en a déjà abattu une vingtaine, et qui connaît toutes les ruses du métier.
Lorsqu'un Ossalais se dispose à aller chercher l'ours, il s'arme d'un long poignard et se couvre le corps d'une épaisse cuirasse formée tout simplement de deux ou trois peaux de mouton superposées. Quand il a trouvé son formidable adversaire, il l'enveloppe de ses bras; aussitôt que l'ours se dresse sur ses pattes de derrière, il le serre fortement contre sa poitrine, en assujétissant du bras gauche la tête de l'animal sur son épaule, afin d'éviter ses morsures ; puis, saisissant habilement le moment opportun, il lui enfonce son poignard dans les reins, jusqu'à ce que l'ours, épuisé, roule à ses pieds. Lorsque cette terrible lutte corps à corps s'établit sur le bord d'un précipice, il arrive parfois que les deux combattans roulent sans se quitter, jusqu'au fond de l'abîme, où tous deux alors trouvent la mort.
http://www.textesrares.com/girard1/girar05.htm _________________
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