Utilisation des cuvettes lacustres Pyrénéennes pour la pisciculture
Par
Emille Belloc - CONGRÈS DE PAU — 1892 - Séance du 19 septembre 1892
La culture méthodique des eaux est pour ainsi dire ignorée dans la région pyrénéenne. Cependant, comme toutes les questions relatives à l'alimentation publique, la mise en valeur des nombreuses cuvettes lacustres renfermées dans ces montagnes intéresse trop directement les populations rurales, pour que cette question capitale reste plus longtemps dans l'oubli.
La terre, parfois, est une mère ingrate dans les contrées montagneuses, et celui qui la cultive et lui prodigue ses soins sait par expérience qu'il n'est pas toujours récompensé de son pénible labeur. Mal pats, dit l'Espagnol habitant le revers méridional des Pyrénées ; Maoua terra, s'écrie le cultivateur du versant septentrional, lorsqu'il compare son champ enfoui sous une couche épaisse de neige, durant une grande partie de l'année, aux plaines fertiles d'où il tire la plus grande partie de sa subsistance.
En négligeant ce grand problème économique de la mise en production des masses d'eau qui couvrent leurs territoires, les municipalités sont coupables à tous égards. Non seulement elles privent leurs concitoyens d'un produit naturel et d'un aliment éminemment sain, dont les qualités nutritives leur rendraient les plus grands services ; mais encore elles renoncent bénévolement à un profit assuré qui augmenterait le revenu communal dans de notables proportions.
Au point de vue social et utilitaire, la pisciculture, ou plutôt l'aquiculture, nom sous lequel cette science pratique devrait être exclusivement désignée, mériterait d'occuper le premier rang parmi les industries alimentaires, car c'est peut-être la seule dont les produits n'aient pas encore été atteints par les falsifications et les altérations si communes et si habiles à notre époque.
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je suis persuadé qu'avant peu l'Aquiculture deviendra prospère dans les Pyrénées, si les établissements sont installés avec méthode et économie.
Actuellement la vie animale est aux trois quarts anéantie dans les eaux pyrénéennes, et il est facile de prévoir l'époque prochaine où le poisson disparaîtra des lacs et des cours d'eau, si l'autorité supérieure ne prend pas, à bref délai, des mesures énergiques pour arrêter les déprédations des malfaiteurs. Les engins prohibés ne suffisent plus à la stupide fureur de destruction des braconniers qui, sûrs de l'impunité ou à peu près, et sans se préoccuper des désastres qu'ils occasionnent, ne craignent pas de mettre en oeuvre les substances toxiques les plus violentes et même les matières explosives pour s'emparer du poisson. Et, chose triste à dire, c'est parfois sous l'oeil extraordinairement indulgent des hommes officiellement chargés de faire respecter la loi, que se passent ces faits déplorables à tous égards. La répression énergique des délits et l'observation rigoureuse des règlements de pêche s'imposent donc avant tout.
A l'époque du frai, le braconnage fluviatile ou lacustre devient un véritable crime, puisque le pêcheur détruit, en une seule fois, des milliards d'individus avant leur naissance. Du reste, son méfait est sans profit pour lui, car, à ce moment-là, les œufs utilisant pour leur formation la plus grande partie des matières grasses et de l'acide oléophosphorique qui colore la chair des poissons, surtout celle des truites saumonées, l'animal a perdu sa coloration et sa saveur, et n'a plus de valeur marchande.
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"Combien y a-t-il de lacs dans les Pyrénées? Qui les a tous vus ?" H. RUSSELL