Pêcheur de misère… pêcheur de chimère ?
Ce matin, je me suis levé à 6h30, j'ai déjeuné copieusement, puis je me suis habillé.
J'avais préparé mon matériel, hier soir, afin d'être prêt, ma soie propre, ma canne nettoyée, mes mouches religieusement alignées dans leur boîte et leurs petites
cases.
Puis je suis monté dans ma voiture, direction le Soler, le temps est gris, avec une pluie soutenue, j'espère que cela s'éclaircira.
J'arrive au Soler, le plan d'eau est vierge, personne, super !
Je m'équipe rapidement, j'avale deux chocolatines encore tièdes, un supplément pour avoir le ventre plein au bord de l'eau avec ce fond d'air très frais.
Je me couvre correctement, je monte ma canne, et je décide de mettre une mouche fétiche, un petit sedge noir sur caddis. Il n'y a pas de vagues, ni de vent, la pluie s'est arrêtée, mais c'est la première heure, et les truites sont actives.
Au bout de 3 à 4 lancers, je capture une belle truite arc-en-ciel, sur mon sedge noir, toujours aussi redoutable !
Une seconde truite, succombe au charme de cette imitation, puis cela se calme.
J'essaie encore d'autres mouches, sans succès, je me rappelle alors que j'ai monté une petite éphémère, pour ne pas dire minuscule, avec presque rien de cul de canard vert olive. Je la monte, je la présente, bingo ! Premier posé, première truite ! C'est la bonne de ce matin frais et pluvieux.
Je continue et sors encore une autre truite, ma petite éphémère a perdu ses cerques dans la bataille, ce n'est plus la même chose, elle est boudée… Dommage mais la pêche à la mouche, c'est ainsi !
Des aléas, des jours avec et des jours sans, mais le plaisir toujours renouvelé de se trouver près de l'eau et des poissons.
Je vois souvent la pêche à la mouche comme une philosophie de la vie, c'est un temps à passer, un temps à vivre sereinement, une paix de l'âme dans le silence de la nature.
Au final, que le poisson soit là au bout du fil ou qu'il n'y soit pas, qu'importe !
L'ivresse est avant, elle est dans la préparation, dans l'esprit, dans la quête, dans la recherche, dans la traque, dans tout ce qui fait la pêche à la mouche. La capture est un sommet, mais pas une finalité absolue.
Le pêcheur est un rêveur, un poète de l'onde, un philosophe de la nature…
On se dit pêcheur, mais plus souvent de chimères et de rêves, que de poissons réellement, qu'importe le poisson, pourvu que l'on ait l'ivresse !
Alors que je me noie dans mes pensées, un collègue s'approche, il ne salue pas… Bizarre, peut être préoccupé, il scrute la surface de l'eau, je pense à un fin pêcheur qui prend le temps de comprendre, de deviner l'eau. Il reste un long moment ainsi, puis il s'installe à ma gauche, il monte sa ligne, puis la lance, et pose une petite boule blanche à la surface de l'eau.
Quelle drôle de mouche ? Est-ce vraiment une mouche ? Non, en fait un pompon blanc, sensé imiter quoi exactement ? Curieux ? J'observe par côté, très intrigué de la suite…
Le "pêcheur" tire lentement sur la soie, le pompon glisse doucement, lentement, puis après un temps, une truite le gobe, il la ferre, puis la capture et la relâche.
Je suis vraiment surpris, quel intérêt dans cette pratique, la suite est encore plus extraordinaire. Le "pêcheur" semble s'impatienter, car les touches ne sont pas au rendez- vous, il ramène sa soie, puis monte un guide orange fluo, et met un leurre qu'il m'est impossible de voir à cette distance, mais pas une mouche sèche.
Il relance à nouveau avec son curieux équipement, puis pose nonchalamment sa canne au sol, s'allume une cigarette et attend.
Je n'en crois pas mes yeux ! Il attend comme un pêcheur au coup devant son bouchon !
Ce n'est donc pas une nymphe puisqu'il devrait l'animer, à quoi "pêche-t-il" ?
Serait-ce avec un appât naturel ?! Ou une imitation synthétique d'appât naturel ?
Je ne le crois toujours pas, et c'est pourtant la triste vérité, il pêche au coup avec un "bouchon" comme un pêcheur au coup, et canne posée s'il vous plaît !
J'en reviens à ma philosophie et ma passion pour la pêche à la mouche, le pêcheur de chimère n'existe plus, ici il s'agit d'un pêcheur de "misère" !
Oui, j'ai des mots durs car cela ne mérite pas mieux ! J'ai à côté de moi, à quelques mètres, un exemplaire de "pêcheur de misère" !
Misère et décadence, où quand le pêcheur ne sait plus pourquoi il pêche.
Quel intérêt de pêcher ainsi ? Ce type n'a aucun sens de la pêche, il ne mérite même pas que l'on s'attarde plus longtemps à le contempler, car il n'y a rien d'intéressant à voir.
Autant, je respecte le véritable pêcheur au coup, pêche très fine et très intéressante, qui demande patience et extrême vigilance, autant je suis ici, complètement révolté.
Ce type s'est trompé de lac, il s'est trompé de technique, il est vraiment un pêcheur de "misère".
La pluie se met à redoubler, comme si la nature avait entendu ma complainte, je continue à fouetter ma mouche sèche, une truite ratée, ce n'est pas facile avec l'eau troublée par les gouttes de plus en plus nombreuses. Le pêcheur de "misère" n'en peut plus, il cède devant la nature, et range sa canne.
Ouf ! Il s'en va, ne me salue pas, et je reste sous la pluie, avec le lac devant moi, couvert d'éclaboussures, presque comme s'il était en colère.
Je reste encore un long moment comme pour être lavé par la pluie de cette infamie, de cette stupidité humaine.
Je reste enfin seul, rassuré, en paix avec moi-même et avec la nature, je savoure…
Cela semble une histoire inventée, c'est pourtant une histoire vraie, cela s'est passé ce matin pluvieux, dimanche 13 novembre 2005, au lac du Soler.
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